Synthèse séminaire du vendredi 18-09-2015
Les 13 étudiantes en deuxième
année de Diplôme d’Etat de professeur de danse et en deuxième année de Licence
danse à l’Université bordeaux Montaigne ont rencontré Poppy pour la première
fois aujourd’hui. J’animais la séance, accompagnée de Thibault, chercheur à
Inria, de Naomi Mutoh et de Laurent Paris de la Cie Medulla. Nous avons pu d’emblée
créer des liens avec la pratique du Butô. Nous allons faire dans ce séminaire,
un grand écart entre mécanique et poétique. Après un temps de présentation
globale, il a été question de sortir Poppy, débranché.
Etonnement des filles. Elles se
le passent, le portent. Une temporalité se met en jeu : lenteur,
attention, douceur. Une certaine appréhension teintée de curiosité plane.
Je pose 3 questions, qui seront
reprises au fur et à mesure du séminaire :
Qu’est-ce qui vous frappe d’emblée ?
Poppy a-t-il un corps ? Qu’est-ce qu’il n’a pas ?
Pour les deux premières questions,
voici des réponses à la volée : « Je m’attendais à quelque chose de
plus arrondie, il est très squelettique et du coup c’est un corps » /
« Il est hyper maniable en fait » / « Je suis étonnée par la
présence de la ceinture scapulaire et du bassin » / « Je m’attendais à quelque chose de
rigide » / « C’est étonnant, il est très organique en fait » / « Il
a la forme d’un humain, mais il a un côté un peu handicapé, peut-être à cause
de sa fragilité » / « On peut le faire bouger en synergie » / « Il
est sympathique, parce qu’il n’est pas exactement comme nous » / « J’ai
l’impression de porter un mort » / « Il a un corps parce qu’il est
articulé » / « C’est un squelette électronique » / « On
peut parler d’organicité parce qu’il est articulé comme nous » .
Qu’est-ce qu’il n’a pas ?
« De poids » / « De
peau, d’organes, de mains avec des doigts, des orteils » / « C’est
juste un squelette, il lui manque la conscience, la pensée, l’énergie » / « Il
n’a pas la conscience de son corps dans sa globalité, de cœur, d’énergie, de proprioception »
On s’arrête sur ce terme très
important en danse et en analyse du mouvement en général. En bref (mais cela
mérite d’être étudié de plus près), la proprioception est la perception que l’on
a de son propre corps dans l’espace, elle permet d’avoir conscience de la
position et des mouvements de notre corps (la position des segments du corps
les uns par rapport aux autres). La proprioception donne des informations nécessaires à l’équilibration, à l’ajustement et
au maintien des postures.
Après discussion, Poppy est doté
en quelque sorte d’une proprioception, car les moteurs sont capables de dire où
ils sont dans l’espace, mais de manière fragmentée, et pas globale. Il a donc
des difficultés bouger ses segments les uns par rapport aux autres, chose que l’humain,
sauf pathologie, réalise inconsciemment et en ayant la « carte »
globale de son corps avec les segments reliés entre eux. Réflexion à
poursuivre.
La discussion continue sur la
structure du robot en elle-même, ses possibilités et impossibilités sur la
logique articulaire etc.
Elles cherchent quel mouvement
elles aimeraient que Poppy réalise. Au sol, elles cherchent. On choisit un mouvement
apparemment impossible. Je cherche à les amener à opérer une conversion
kinesthésique, c’est-à-dire qu’elles se mettent véritablement à sa place et qu’elles
appréhendent la problématique de l’initiation du mouvement et de la gravité.
On choisit celui-ci : départ
sur le dos, aller vers l’avant par l’initiation par la tête en gardant les
jambes tendues devant : il s’agit d’un enroulé réalisé d’une manière
assise, jambes allongées. Au fur et à mesure, elles comprennent qu’il faut être
plusieurs à manipuler Poppy pour être en synergie, que Poppy n’a pas d’abdominaux
et que le moteur du bassin ne peut pas engranger toute la puissance à un seul
endroit de son corps. Elles sont en train de découvrir que Poppy n’a à vrai
dire pas un centre de gravité, mais plusieurs, autant qu’il a de moteurs. Une
étudiante évoque la conception de corps dansant de Merce Cunningham, elle a
saisi (peut-être un jour verrons-nous son travail avec le logiciel Life Forms).
De l’initiation distale on passe à la proximale. Elles essaient de bouger par
le proximal, ça change toute la qualité du mouvement. Mettre en mouvement Poppy
par le toucher, elles le découvrent, demande d’initier le mouvement au plus
près de chaque articulation qui est en fait un centre. Poppy a pleins de centres de gravité, et on
apprend donc à penser le mouvement autrement, à créer des compensations.
Le mouvement de l’enroulé par l’avant
est finalement réalisé et là tout s’inverse : ce qui est possible pour
Poppy ne l’est pas pour nous et inversement. Poppy démarre son mouvement d’enroulé,
le dos au sol, les bras derrière la tête et les paumes des mains tournées sur
le sol, il prend appui et initie par la tête l’enroulé. Pour nous, ce mouvement
reste difficile voire impossible à cause de la rotation de l’épaule engendrée
par la paume tournée vers le sol. Elles essaient de faire le mouvement à la
manière de Poppy, puis à la leur.
Elles expérimentent, passent de l’observation
à la pratique et récoltent les résonnances kinesthésiques.
Prochain séminaire, le mardi 22
septembre 2015.
Synthèse du deuxième séminaire en date du 22/09/2015
Ce mardi, nous avons parlé de l’évaluation, car il s’agit d’un
séminaire, les danseuses doivent obtenir une note. La forme du journal de bord
est choisie avec comme consigne :
Ecrivez sur votre expérience de mouvement avec le robot.
Posez-vous la question, c’est quoi une expérience de
mouvement ? Qu’est ce que ça veut dire ? Quels sont les enjeux ?
(à chaque fois, gardez en tête les questions posées dans les séminaires
précédents, comme : qu’est ce qui vous a frappé ? Poppy a t-il un
corps ? Qu’est-ce qu’il n’a pas ? Quels problèmes avez-vous rencontré
pour le mettre en mouvement ? Comment les avez-vous détournés ?
D’autres questions surviennent :
Dans un contexte pédagogique, dans quelle mesure peut-on
considérer une interaction Homme-robot comme un outil réflexif sur
l’apprentissage de la danse ?
Peut-on parler de qualités du mouvement avec un robot? Peut-on
parler d’état de corps pour le robot ? – la question du regard et de la
perception du mouvement est abordée.
Est-ce qu’on peut dire que le robot danse ? Où commence
la danse ? Où finit-elle ? Un objet peut-il danser ? (je leur conseille d’aller voir la pièce
chorégraphique « 100 % Polyester », 1999, Christian Rizzo, sur le
site internet numéridanse.tv)
La thématique du séminaire concerne l’entre-deux. Nous commençons
par la lecture de l’article « Á propos d’une expérience de mouvement partagé
avec un robot humanoïde : l’entre-deux comme maintien du vivant. », coécrit
avec le concepteur du robot Mathieu Lapeyre, qui paraîtra à l’automne 2015 dans
la revue Iris du Centre de recherche sur l’imaginaire de Grenoble.
La lecture de ce début d’article incite les danseuses à s’interroger
sur le « comment » de la programmation et là, Thibault leur explique
comment ça marche, au travers notamment du langage Python.
La lecture nous sert de réflexion de départ et concentre
notre discussion autour de ce qui se passe entre deux corps et sur la
transmission du mouvement en tant que telle.
En pratique, nous allons essayer de penser le mouvement qui
se passe entre deux postures. Il s’agit donc d’un travail sur la décomposition
du mouvement (voir la chronophotographie de Jules Etienne Marey -1830-1904-) On réalise un travail sur « l’aller vers »
(en termes d’analyse du mouvement). Le mouvement est alors pensé comme une
transformation partant d’un point A et allant vers un point B.
Cela questionne directement l’essence même du mouvement
dansé : il s’agit de passer par chaque point qui constitue la trajectoire
du mouvement à réaliser, mais pas seulement.
En effet, qu’est-ce qui distingue un mouvement ordinaire d’un
mouvement dansé ?
Pour aborder cette question, je leur propose « l’exercice »
du chorégraphe et pédagogue Alwin Nikolais qui synthétise sa vision avec la
notion de la motion, car pour lui,
elle englobe la conscience du geste et celle du le geste conscient. Autrement
dit, cette conception se concentre sur la conscience du trajet en tant que
parcours, au travers de tous nos segments corporels.
Ainsi, la plus célèbre expérience proposée afin de ressentir
cette danse est de prendre deux heures pour lever sa main jusqu’à sa tête, et
sur le ton de l’ironie, Nikolais précise que « ce sera peut-être d’un
ennui mortel, mais ce sera de la danse » (Laurence Louppe citant Alwin
Nikolais, Poétique de la danse
contemporaine, Bruxelles, Contredanse, 2004, p. 108.).
Nous faisons alors cette expérience de lever le bras au
dessus de sa tête en ayant la conscience du trajet en tant que parcours.
Elles cherchent alors une posture de départ et une posture d’arrivée.
Toutes se mettent en mouvement, réalisent des mouvements en ayant en tête ce
qui a été vécu dans le séminaire précédent (initiation du mouvement proximale,
possibilités et impossibilités de Poppy). Elles réalisent le même type de
travail qu’elles feront avec un élève en cours de danse par exemple, où elles
pourront se trouver dans une impasse dans la transmission d’un mouvement. En
cherchant à se mettre à la place du robot, elles se dégagent de leur propre
fonctionnement pour en comprendre un autre, ce qui leur permet de chercher des
solutions pour le mouvement soit réalisé.
Le mouvement choisi pour l’enregistrement est celui-ci :
Départ : assis, jambes allongées.
Arrivée : quatre pattes.
C’est un mouvement difficile à effectuer pour le robot, les
manipulateurs doivent penser à toutes les compensations pour que le mouvement
soit fait (le poids et ses transferts). On évoque les schèmes de développement
de l’enfant.
Afin de mieux comprendre ce qui se passe. On propose de
manipuler directement le corps humain et de lui faire faire ce qui doit être
demandé au robot. Ce travail de manipulation entre les danseuses s’avère très
efficace. Le mouvement de la posture assise allant vers le quatre pattes est
finalement réalisé assez rapidement. (il manque un tout petit appui final, mais
l’essentiel est bien là).
L’échange se poursuit et je leur propose de réfléchir à la différenciation
entre geste et mouvement. Elles se rendent compte que cette différenciation est
délicate (elles feront des recherches chez elles).
Cette réflexion les amène à la question de la marche. A savoir
si elle est un mouvement ou une suite de gestes. Et si on essayait de marcher faire
Poppy ?
C’est quoi au juste une marche ? Plusieurs réponses, et
très vite elles se mettent en marche, décompose ce mouvement à la fois si
complexe et tellement naturel pour nous.
Essai avec Poppy : ça marche !
Une danseuse enregistre par la manipulation les mouvements
des jambes, tandis qu’une autre le tient par les bras. On rejoue. Poppy marche
en se faisant tenir par les bras. On remarque que si une autre danseuse tient Poppy les bras avec les mêmes mouvements enregistrés, ça ne marche pas. Est-ce à
dire que dès l’enregistrement, pour celle qui le (sou)tient l’empathie kinesthésique opère et que les deux
corps s’ajustent l’un à l’autre ?
On rejoue la même marche, mais plus rapidement, et ce de
plus en plus, pour voir. Poppy perd sa fluidité et judicieusement une danseuse
dit « c’est le robot qui fait le robot ».
A suivre !
Synthèse séminaire 29-09-2015
On commence par faire le tour des nouvelles questions. Notamment, à savoir quelle est la
différence entre un geste et un mouvement. Les réponses sont multiples, se
contredisent ou se complètent. <on peut entendre : le geste est relégué aux extrémités corporelles, tandis que le mouvement l’est davantage à la globalité du corps. Le geste apparaît aussi comme
un fragment, une unité d’organisation d’un mouvement global. On se dit en
reprenant Laurence Louppe, que c’est la mobilisation aussi qui permet d’envisager
le geste: l’engagement serait propre au geste. Pour Laurence Louppe, « la
charge d’un mouvement ne dépend », rappelle Laurence Louppe, « ni de
son ampleur, ni même de sa nature, mais de ce qu’il engage1 ».
Une feuille quand elle est bougée par le
vent, fait-elle des gestes ? On se demande alors si Poppy quand il est
tension, fait des gestes ou des mouvements, et ce que le manipulateur par le
toucher lui transmet. Ce matin, le temps est à la réflexion, nous prenons de
temps de revenir sur des questions, et l’on
se rend compte du chemin qui a déjà été parcouru.
Je leur demande ensuite, ce que le robot fait à la
danse, et si les problématiques que posent le robot dans notre (futur) quotidien
sont les mêmes que celles rencontrées lors d’un atelier autour du mouvement et
de la robotique, ou lors d’un spectacle qui mêle des danseurs et des robots humanoïdes.
Est-ce toujours la même crainte du remplacement de l’homme par le robot, ou
est-ce d’autres enjeux qui se jouent dans l’atelier et sur scène ? Et sur
scène et dans l’atelier est-ce la même histoire ? La prochaine fois, j’amène
l’article de la chercheuse Isabelle Launay « La danse, entre geste et mouvement ».
Cette séance la pratique est orientée vers un
travail regardant/regardé et manipulateur/manipulé.
Il va s’agir d’enregistrer une séquence de mouvement
simple et d’observer son attitude par rapport aux facteurs du mouvement : par
rapport au poids, à l’espace, au temps et au flux. Une fois la séquence enregistrée, on se
demandera ce que l’on peut modifier. On
comprendra que l’on peut intervenir sur le temps en passant du soudain au
soutenu, sur le poids de l’actif au passif en le débranchant, sur le flux libre
(débranché) et retenu (branché) et sur l’espace direct ou indirect en jouant
avec l’intention du « regard » et des traces laissées par son « corps ».
Le simple moment de l’enregistrement de la séquence
devient complexe, car elles cherchent à la faire tenir assis, jambes allongées,
afin de lui faire bouger la tête, les bras, le torse…On ne parvient pas au
résultat que l’on aimerait voir pour créer de bonnes conditions des attitudes
envers les facteurs du mouvement. On décide de le mettre debout, maintenu par
les pieds par une participante. Ce n’est déjà pas évident, on compense les
masses. On cherche lui faire plier les genoux afin qu’il s’asseye, puis s’allonge.
On choisit de le mettre en « compliant » d’un coup, pour qu’il s’écroule,
afin d’observer les 2 états : d’un poids actif à un poids passif. Les
pieds sont toujours maintenus, à partir de là on essaie d’imaginer comment il
pourrait se relever et retrouver sa verticalité.
C’est davantage un jeu pour nous, qu’une réalité à
réaliser au travers de Poppy. Toutes se doutent que Poppy ne pourra réaliser de
mouvement. Par la manipulation entre elles, elles essayent de trouver les
chemins gestuels qui seraient à parcourir pour y parvenir.
Petit à petit elles commencent à se manipuler
autrement que par les mains, se poussent avec le dos, se soutiennent autrement,
ce qui enchaine sur le reste de l’atelier. Comment manipuler Poppy autrement que
les mains ? Peut-on le faire avec tout le corps ? Peut-on enregistrer
ses mouvements, s’il est agi par le dos de quelqu’un ? On essaie. On repartira sur cette thématique la prochaine
fois, comment se passer Poppy de corps en corps, en passant de l’état branché à
débranché ?
Pour finir, Théo leur montrer l’interface Snap, visuellement
très chorégraphique pour nous.
1
L. Louppe, Poétique de la danse contemporaine, Bruxelles, Contredanse,
2004, p. 105.